AVERTISSEMENT
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La détection de métaux a toujours été traitée de manière légère par les journalistes, sous la forme d'un sujet rafraîchissant pour l'été. On a tous vu des émissions présentant la détection sur la plage, les vacances, le soleil, la mer... mais ça, c'est une toute petite facette de la détection. Si les journalistes devaient aborder le sujet en totalité, dans toute sa complexité, ça gaverait beaucoup de spectateurs et ça plomberait l'ambiance, donc ça n’est jamais vraiment abordé. Mais le sujet est bien plus épineux qu'il n'y parait.
Je vais tenter de vous expliquer la situation mais ça n'est pas simple et mon message risque d'être long, car il y a la théorie, la pratique et entre les deux... un gouffre bourré d’inepties.
DE LA THEORIE...
Autorisation administrative
Il existe un article de loi (l’article 542 du Code du Patrimoine [1]) qui dit principalement ceci : « Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d'objets métalliques, à l'effet de recherches de monuments et d'objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche. »
Sachez que l’autorisation administrative dont il est question dans cet article de loi n’est quasiment donnée qu’à des archéologues. Elle vient fixer un cadre légal sur l'usage du détecteur dans le cas de fouilles archéologiques. Elle est OBLIGATOIRE si vous souhaitez détecter sur un site archéologique répertorié (NDLR : autrement dit, il est strictement interdit de détecter sur site archéologique répertorié si vous ne possédez pas ce précieux sésame).
Cette autorisation ne sera pas (ou très très rarement) donnée à un Utilisateur de Détecteur de Métaux (UDM) amateur. Demandez là si vous voulez participer à un chantier de fouille (mais dans ce cas vous serez encadré par un/des archéologue(s)).
Les autorisations liées à un usage de loisir
Si votre recherche n’a pas de visée archéologique et se déroule hors site archéologique et/ou historique, vous n’avez en théorie pas besoin de cette autorisation administrative.
La seule autorisation dont vous aurez besoin est celle du propriétaire du terrain que vous prospecterez (si le terrain est loué (par exemple à un agriculteur) il vous faudra l'autorisation du propriétaire du fond et celle du locataire).
A noter que pour la plupart des exploitants agricoles que j’ai rencontrés à ce jour, une poignée de main suffit, il est rare qu’ils acceptent de signer une autorisation écrite. Ce n’est pas grave en soi, c’est juste une question de confiance. Par contre veillez à prendre le coordonnées du quidam au cas où, et à lui laisser les vôtres.
Si le terrain est public, rares sont ceux ayant réussi à obtenir une autorisation officielle. Ça existe mais c’est plus rare.
Et en cas de refus, respectez cette décision.
A LA PRATIQUE
Les restrictions
Il faut savoir que certaines régions interdisent l’usage des détecteurs de métaux via des arrêtés préfectoraux (liste non exhaustive : Oise 60, Somme 80, Aisne 02…). La raison officielle de ces arrêtés est la dangerosité liée à l'importante concentration d'armes et de munitions encore actives dans le sous-sol de ces régions (du fait des 2 dernières guerres).
Tous les ans, des collectionneurs se font péter la gueule sur des engins qu’ils croient être capables de maîtriser. Et tous les ans, des obus explosent de manière spontanée, sans intervention humaine, juste du fait de l’instabilité chimique liée à l’âge du produit. Pas la peine d’en rajouter avec des UDM.
Il faut compléter ceci avec des arrêtés communaux interdisant l’usage des détecteurs sur certaines communes de France, soit parce qu'elles sont riches en vestiges, soit parce qu'elles sont classées comme « nécropoles » (liste non exhaustive : Verdun 55, Mante la Jolie 78, les plages du débarquements (Utah, Omaha, Gold, Juno, Sword en Normandie… mais aussi quelques autres dans le sud entre Saint-Tropez et Saint Raphael), « Bois-le-Prêtre » à Pont-à -Mousson, « plage de la Brée » sur l’Ile d’Oléron, les communes de Labastide-de-Lévis et d’Ambialet 81…).
Bref, toujours se renseigner au préalable sur l'endroit où on va. Certains UDM ne respectent aucune de ces interdictions, soit par bêtise, soit par ignorance. Ce n’est pas parce qu’ils le font que vous devez être aussi nuls qu’eux.
Un discours officiel orienté
Une grande partie des archéologues de terrain voient en nous des aides potentielles et bénévoles leur permettant d’explorer virtuellement une quantité de terrains sur lesquels ils ne mettront jamais les pieds car vraiment en dehors des périmètres archéologiques répertoriés. Malheureusement leur hiérarchie est radicalement opposée à toute entente cordiale (voir le compte rendu de la réunion entre l’ANDL et le Directeur de la Sous-Direction de l’Archéologie (SDA) auprès du Ministère de la Culture sur notre forum [2] – ce document peut paraître ancien (2010) mais nous avons réitéré en 2014 et la réponse a été identique).
La SDA a une approche très manichéenne vis à vis de la détection, qui ne saurait exister à ses yeux que pour être utilisée dans le cadre d’une fouille archéologique ou dans le cadre utilitaire, de recherche de tuyaux ou de clés égarées par exemple, toute autre forme serait considérée comme du pillage. Un des problèmes, c’est qu’elle fait sa propre lecture de la loi [3] alors que les archives du Sénat et de l'Assemblée Nationale montrent que ladite loi n’est pas censée encadrer la détection de loisir. [4] Un autre problème, c’est qu’un juge qui ne maîtrise pas forcément le sujet, s’appuiera plutôt sur un organisme agréé censé savoir de quoi il parle, que sur la parole d’un UDM lambda.
En fait, même s’ils ne le disent pas ouvertement, tout ceci tient d’une démarche bien plus globale : niveau culture et archéologie, on est en phase de professionnalisation / centralisation / jacobinisme. Ca fait déjà quelques années qu'il y a une volonté des professionnels de l'archéologie d'écarter et de se passer de plus en plus des archéologues amateurs bénévoles, sauf pour les petites mains, puisqu'ils n'ont pas les moyens de faire autrement.
Leur regard sur l'UDM est tronqué. Ils voient en lui un découvreur, capable de faire de belles trouvailles... Une sorte de concurrence jugée illégitime qui leur « vole » des trouvailles, alors que nous ne sommes pas des archéologues, que nous ne voulons pas en être, que nos trouvailles se font hors site, à des endroits où un archéologue n'ira jamais se perdre et qu'une grande partie de la communauté des UDM déclarerait ses trouvailles si on lui en laissait le choix et collaborerait si on le lui demandait. Cherchez le non-sens.
Et puis, devoir prendre en compte les déclarations d'UDM générerait un surplus de travail, qu'il faudra financer. Dans une archéologie étatique dont le budget est déjà en berne, ce point est litigieux. On préférerait faire interdire plutôt que de chercher des financements.
Toutes les tentatives de dialogues ont, pour l’instant, échoué. Dialogue de sourds.
EN PASSANT PAR LE GOUFFRE EPINEUX
Trésor
Le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard (Code Civil, article 716 [5]). Mais la jurisprudence précise qu’une découverte effectuée au détecteur ne peut plus être qualifié de « trésor » puisque, selon la justice, la découverte ne tient pas du « pur effet du hasard ». Sympa.
De fait, les clauses du Code Civil sur le partage d’une découverte faites au détecteur sont rendues caduques du simple fait de l’usage du détecteur. Pour que le partage ait lieu, il faut un contrat qui précise ce point, sous réserve que le terrain ait été acquis avant juillet 2016. Si le terrain a été acquis après le 7 juillet 2016, la totalité des biens archéologiques sont présumés appartenir à l'Etat (Code du Patrimoine, article L541-4 [6]). Même le propriétaire du terrain se retrouve floué. Tu parles d’une justice !
Découverte majeure
En théorie, en cas de trouvaille majeure, vous êtes censé déclarer cette découverte, conformément à l’article L531-14 du Code du Patrimoine. [7] Cependant, si vous avez lu plus haut le compte-rendu de la réunion ANDL-SDA, vous aurez noté que le mot d’ordre donné par les hautes instances archéologiques est de considérer tout UDM comme un pilleur et de le traiter comme tel. Autrement dit, un UDM qui souhaiterait faire son devoir civique de déclarer une trouvaille majeure, ne pourrait pas le faire sans risquer un procès. [2][8] De fait, on vous conseille de le faire de manière anonyme : en cas de découverte majeure, stoppez votre détection, laissez les objets en terre, repérez l'endroit et faites une déclaration anonyme à la DRAC de votre région (avec localisation précise et photos éventuelles).
Le jeu de la Sous-Direction de l’Archéologie auprès du Ministère de la Culture pousse clairement les UDM dans la clandestinité : si on veut déclarer, on peut difficilement. Et si on ne déclare pas, on est considéré comme pilleur. Et après, les DRAC et SRA jouent les victimes spoliées par ces « méchants UDM qui ne déclarent rien… » Cherchez l’erreur !
Quel gâchis !
Les réseaux sous surveillance
Les services de com’ des DRAC martèlent avec force qu’un objet sorti de terre est sorti de son contexte archéologique et n’a plus aucune valeur. Pour autant, les réseaux sociaux (fessebouc, touiteur, ioutoub, les forums de détection, etc.) et les sites de petites annonces (ibeurk, lemauvaiscoin, etc.) sont scrutés avec avidité... Quand une trouvaille inédite, rare ou simplement de valeur est postée, le dépôt de plainte ne se fait en général pas trop attendre. Hé oui… Avec le nouveau Code du Patrimoine, il est bien plus facile de récupérer (confisquer) un objet de la sorte, que de tenter une négociation avec son découvreur. [9] Qui a dit que ça n’avait plus aucune valeur déjà ?
Ah, au fait ! Vous croyez que ces objets vont aller où, une fois l’étude sera faite ? Croyez vraiment que tous les objets seront exposés dans un musée ? Non... Beaucoup finiront dans les réserves poussiéreuses de l'Etat et d'autres se perdront en cours de route... Récupérées pour une collection personnelle officieuse ou juste perdues par mégarde ou simplement revendues ? [10][11]
Le rapport sur la conservation du mobilier archéologique [12] est d'ailleurs très clair à ce sujet, "certains chercheurs considèrent le mobilier provenant de leurs fouilles comme des collections personnelles. Les archives de la sous-direction et des services régionaux regorgent de ces affaires qui concernent parfois d'anciens responsables des services" (extrait de la page 85). Si des améliorations ont été apportées depuis ce rapport, une nouvelle analyse plus récente [13] montre que le résultat est loin d'être satisfaisant.
Des invitations à la dénonciation
A partir des années 2000, nous avons vu poindre une autre forme de (dés)information : des lettres issues des DRAC à destination des Maires des régions concernées et qui disaient en substance que tout UDM était dans l’illégalité et que pour chaque individu aperçu, il fallait lui envoyer la maréchaussée pour faire constater l’infraction. [14]
Les "Appaches"...
Il faut savoir également qu’il existe en France bons nombres d’extrémistes de tous poils… et des anti-UDM cela existe aussi. Certains le sont à titre individuel, d'autres sont regroupés dans une pseudo association de protection du patrimoine. Dans certaines régions de France, ces personnes, archéo ou non, se croient investis d’une mission divine et font de la délation systématique auprès des forces de l’ordre vis-à -vis de tout UDM aperçu (en particulier la Côte d’Or, la région Centre, en Moselle et en région PACA). Leur pouvoir de nuisance est tel qu’il devient difficile de prospecter honnêtement (avec autorisation du propriétaire du terrain, hors site…) et librement sans risquer des embêtements.
POUR RESUMER
Quand on lit la réglementation, on se dit : « OK, l’achat du détecteur est libre mais les fouilles archéologiques sont réglementées. Moi, je ne vais pas sur un site archéologique et je ne veux pas faire de fouille archéologique mais juste me balader avec mon détecteur et trouver des objets perdus qui sont hors contexte archéologique puisque hors site et que de toute manière un archéologue n'ira jamais chercher puisque hors site. Et puis il faut être réaliste, un vrai archéologue de terrain ne va rien avoir à péter des 3 savonnettes et quelques kilos de déchets que je vais déterrer. Et si jamais un jour je tombe sur un truc vraiment important qui pourrait intéresser "l’art, l’histoire ou l’archéologie", ben je le déclarerais comme la loi m'y invite. ».
Normalement, c’est comme ça que ça devrait fonctionner.
Oui mais vous l’aurez compris, ça n’est pas comme ça que ça se passe dans la vraie vie parce que d’autres ont une lecture différente de la loi. Bien évidemment, je ne suis pas naïf, si le mode répressif est en place c’est qu’il y a eu des abus. Mais interdire la détection à tout le monde, sans aucune volonté de l'encadrer, est un peu ubuesque. C’est un peu comme si on vous autorisait à acheter une voiture mais qu’on vous interdisait de la conduire sous prétexte que certains l’utilisent comme véhicule bélier. De la même manière, un UDM n’est pas systématiquement un pilleur. Et ne pas le laisser déclarer ses trouvailles est une honte et une aberration juridique.
On se trompe de débat. Penser qu'une interdiction va endiguer le problème du pillage est utopique. Tenter de faire interdire le loisir va juste pousser les honnêtes UDM à la clandestinité sans freiner les pilleurs. Un mode répressif, et on peut le voir actuellement, n'endiguera pas le flot croissant des personnes se lançant dans ce loisir. La seule issue est l'encadrement. Des solutions existent... Mais pour cela, il faut être capable de les entendre et que les politiques acceptent de les faire appliquer.
Bref... Aujourd’hui, vous avez le droit d’acheter un détecteur, vous avez le droit de vous en servir sans but avéré de trouver des objets archéologiques. Par contre vous n’avez pas le droit d’en trouver et quand bien même vous en trouveriez, il vous sera difficile de les déclarer sans risquer des embrouilles.
Je vous invite donc à vous montrer prudent et discret dans la pratique de la détection. On ne peut pas se balader partout et mieux vaut éviter de publier sur le web des trouvailles de valeur, rares ou inédites.
GLOSSAIRE
DRAC : Direction Régionale des Affaires Culturelles (délégation régionale du Ministère de la Culture)
SDA : Sous-Direction de l’Archéologie (auprès du Ministère de la Culture)
SRA : Service Régional de l'Archéologie (dépend de la DRAC de sa région)
UDM : Utilisateur de Détecteur de Métaux
REFERENCES
[1] Code du Patrimoine, article 542
[2] Compte rendu ANDL-SDA
[3] Manipulation des lois par le Ministère de la Culture
[4] Sénat : débats parlementaires sur la loi 89-900, qui a été codifiée telle quelle dans le Code du Patrimoine (voir page 2649)
[4] Assemblée Nationale (question n° 24413) : la réponse précise que le champ d'application de la loi est limité a la prospection archéologique. Reste donc tout a fait libre, l'utilisation de détecteurs a des fins autres que la recherche « de monuments et d'objets qui peuvent intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie »
[5] Code Civil, article 716
[6] Code du Patrimoine, article 541-4
[7]Â Code du Patrimoine, article L531-14
[8] La DRAC menace de porter plainte contre un UDM voulant déclarer un dépôt monétaire romain
[9] La BnF porte plainte contre un UDM ayant découvert un liard inédit
[9] Découverte d'un petit coq gallo-romain inédit : la DRAC porte plainte
[9] Embarqué dans un procès pour avoir publié ses trouvailles sur internet
[10] Mystérieuse disparition de 563 objets du musée d'archéologie de Roanne
[11] L'incroyable histoire du trésor de Boucq
[12] Rapport à Monsieur le directeur de l'architecture et du patrimoine sur la conservation du mobilier archéologique
[13] Rapport n° 2007-05 du Ministère de la culture sur l'application des textes relatifs au mobilier archéologique
[14] Lettres à entête préfectorale invitant à la dénonciation
Compléments :
Effet pervers de la législation française (Michel PRIEUR, numismate)
Réflexions sur la liberté archéologique (André PALLUEL-GUILLARD, historien)
Archéologie : science humaine ou monopole d'état ? (Louis-Pol DELESTRÉE, ancien archéologue)
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